[Vampire Masquerade] Cyril de Felger, le Damné de l'Archange

Vannes, vingt-et-une heure, fin novembre. Un ciel dégagé, laissant apparaître la pleine lune et les étoiles. Au loin, quelques garous qui hurlent. Et, en haut de la tour de la cathédrale Saint Pierre, deux silhouettes assises qui regardent la ville s’endormir doucement. A la fois éclairées par la lune et par les projecteurs au pied de l’édifice, nul passant ne fait toutefois attention à eux. Les jambes se balançant dans le vide, une personne d’environ seize ans, avec un manteau sans manches couvert de symbole bizarres, une chemise sans manches en dessous, une courte jupe plissée en tissu écossais, des chaussettes blanches montant jusqu’aux genoux et des sandales noires. Elle a de longs cheveux châtains et ses yeux orange sont partiellement masqués par des lunettes sombres. A ses côtés, la tenant par la taille, un jeune homme guère plus âgé, vêtu entièrement de noir, des chaussures à la chemise et au très long manteau de cuir, dissimulant deux sabres croisés dans son dos et deux pistolets Desert Eagle calibre .50 au poignées desquels pendent deux chaînettes terminées par une petite croix de jade. Ses mains aux longs doigts sont protégées par des mitaines noires également, et ses cheveux, vaguement coiffés en tresse défaite, reposent sur son épaule, bien que des mèches passent et repassent devant son visage sous le vent, cachant sa boucle d’oreille en forme de croix latine. Ses yeux verts, avec un étrange dessin sous le droit, sont perdus dans le vague, insensible aux légers oscillements de la tour que ses sens sur-aiguisés ressentent.
Il lève la tête pour admirer la lune, rassemblant ses idées. Aube, sa partenaire depuis de longs mois, chose sans précédent dans la vie de l’homme en noir, lui avait demandé de lui raconter son histoire. Ayant trouvé le bon début, il regarde sa maîtresse.

« Tu vois cette ville. Elle fourmille de vie, et pourtant cache un bien noir secret. Comme ma vie. Je suis né Cyril de Felger, et pourtant, je ne sais si je le suis ou si je suis un autre, une créature divine ou… le Diable.
Je suis né à Fougères, en Bretagne. Mon père était un petit noble, ayant acheté à Louis XIII, à prix d’or, le titre de Marquis de Fougères, changeant son nom en « de Felger » afin de se rapprocher des racines bretonnes de la ville, Felger en étant le nom breton. Ma mère était une courtisane. J’étais le fils cadet ; mon frère aîné, Jean, ayant un quart de siècle de plus que moi, avait déjà une brillante carrière promise dans les armées, et le puîné, Pierre, de cinq ans son cadet, dans les ordres séculiers ; je n’avais donc beaucoup de choix par rapport à mon avenir.
Rapidement, nous partîmes nous installer à Versailles, cour du Roi Louis XIV qui avait succédé à son père, et qui était déjà surnommé « le Roi Soleil » ou « le Grand ». Là, mes frères et mes parents brillèrent par leur présence et leur éducation, tandis que je fus confié à des instructeurs en lettres, en escrime et surtout en clavecin. Pendant que mes parents ne pouvaient, ou ne voulaient, me voir, je fis des progrès saisissants. Je devins rapidement pour mes professeurs leur fierté, et bien que je fusse loin de leur niveau, je m’escrimais à exceller toujours plus, à toujours donner le meilleur de moi-même. C’est ainsi que, dès l’âge de quinze ans, je fus présenté au Roi, un soir, pour y jouer un morceau de clavecin… Que je réussi à la perfection, malgré l’appréhension et les doutes qui m’assaillirent. Ce fut seulement à cette occasion que je vis mes parents fiers de moi, qu’ils me serrèrent dans leurs bras en me félicitant. Peut-être étaient-ils trop occupés à dorer le blason de notre famille pour se préoccuper de moi, mais dès lors, jamais plus ils ne purent m’oublier. A l’escrime j’eu tôt fait de vaincre l’aîné, et dans l’art des verbes et la théologie piéger le puîné, formés en province, loin du niveau de mes enseignants. A la Cour je brillais par mes réparties et ma grâce, et bien plus que tous ceux de ma famille j’étais celui sur qui compter, ce qui me valu quelques amantes, chose amusante d’ailleurs, car jamais je ne pus ni ne voulus m’attacher à elles… »

Le regard de Cyril se perdit à nouveau dans les lumières de la ville, tandis qu’il cherchait ses mots.

« C’est aussi à cause de ça que c’est arrivé. J’avais eu vingt-deux ans il y a peu… Et je m’étais entiché d’une courtisane, Diane Artémis. Nul ne l’avait jamais vue de jour, mais… cela ne m’avait pas inquiété outre mesure. Bref, une nuit où ma famille ne devait pas être dans le manoir qu’on avait à Versailles, je l’avais invité, ou plutôt, elle s’était arrangée pour que je l’invite, à passer la nuit avec moi. Ma famille ne devaient pas rentrer avant tard le lendemain matin, je pensais donc avoir le temps de faire ce qu’on voulait faire… et elle aussi. Tu auras le droit de te montrer indignée ou quoique ce soit.
On avait juste commencé à s’embrasser, enlacés sur mon lit, lorsqu’elle commença à m’embrasser doucement le cou. Cette pratique m’a toujours procuré, et me procure toujours, d’agréables frissons, et je la laissais faire en m’abandonnant doucement. Je me souviens encore que ce que je ressentis très peu de temps après, c’était une sensation de plaisir sans pareille, une extase incroyable, tandis que peu à peu, mon corps s’engourdit et j’eu l’impression de flotter, tous les sons me provenant étonnamment atténués alors que je n’avais la force d’ouvrir mon yeux. Je sentis ensuite, roulant entre mes lèvres, une goutte de liquide, du sang, qui coula dans ma bouche puis ma gorge en me brûlant terriblement, comme si elle était de feu… Ce récit, je le fais aussi bien car j’ai eu le temps d’y réfléchir… Et en fait, une fois que la goutte atteignit ma poitrine, je me sentis comme ranimé, j’entendis mon cœur battre à nouveau, mon ouïe se trouva amplifiée et j’entendis mes parents, puis mes frères qui entrèrent… et le frou-frou de la robe de Diane qui s’éloignait vivement. Une soif commençait à s’emparer de moi, une soif… de sang. Ce fut ce moment que choisit Pierre pour ouvrir la porte de ma chambre… Ne pouvant résister plus longtemps, je lui bondis dessus, lui planta mes crocs dans sa gorge et, lui arrachant presque un lambeau de chair, je bus avidement jusqu’à la moindre goutte de son liquide vital… Et, relevant la tête, j’aperçu ma mère… et j’avais toujours une terrible soif… »
La voix de Cyril se brisa et il se prit quelques secondes la tête entre les mains, sans pour autant pleurer. Lorsqu’il releva la tête, ses yeux étaient toutefois embués de larmes.
« J’ai tué toute ma famille ainsi. Mes frères et mes parents, tous furent pompés de leur sang jusqu’à la dernière goutte. Honteux, je dissimulais alors ce méfait en brûlant la maison, n’emportant que des vêtements amples et pratiques… Et cherchant la Rédemption à travers la mythique voie de la Golconde.
Pendant un demi-siècle, j’errais d’église en lieu saint, en quête de rédemption. Mon périple ne vaut guère le coup d’être raconté, à part si tu veux que je dresse une liste de tous les lieux religieux en Europe que l’on peut visiter en cinquante-deux ans à pied… Et au bout de cette errance, me sentant prêt, j’invoquais alors le Nom de Dieu, celui que prononça Lilith pour s’échapper du Jardin d’Eden, nom que j’avais trouvé en fréquentant ses servants. La réponse fut à la fois au-delà et en deçà de mes attentes : Dieu me répondit en effet… Pour me dire que je n’étais pas digne de prononcer ce nom, et qu’en guise de punition, je devrais partager ce corps avec un de Ses Gardiens, Jeadiel. »

Aube intervint, avec un sourire aux lèvres, un petit sourire exprimant tout son flegme et son instabilité mentale, limite incrédule :
« Un Ange ? Non...
- Bien que Folie ne l’appelle pas ainsi, oui, je crois que c’est un Ange et pas un Démon. Enfin, l’essentiel est que cela engendra sept ans où je ne fus plus maître de mon propre corps, où je le voyais et le ressentais faire sans pour autant le contrôler ; j’eu droit à l’ingérence de sang pourri, à la course sous le soleil levant et couchant, à un voyage en Enfer, enfin, au Vatican, ce qui suffit à me faire encore peur quand j’y repense… Et c’est ainsi qu’en dix-sept cent soixante-dix-neuf, je me retrouvais à Lyon, à errer dans les rues de la ville, maudissant encore cette Diane Artémis qui avait fait de ma vie un Enfer…
C’est à Lyon que je rencontrai la chance de ma vie. Une Toréador, du nom d’Adiënä, faisait de fréquentes apparitions à la cour du Prince de Lyon. Nous avons, au bout d’un moment, discuté de choses et d’autres, jusqu’au moment où j’ai appris que son époux était au Japon… Le concept d’époux pour un Vampire m’apparaît quelque peu étrange, je dois l’avouer, aussi les ai-je fréquenté davantage pour en apprendre plus sur eux. Puis ce fut le retour de l’époux en question, un certain Kagemura Akira. Il était habillé à la mode de là-bas, ce qui détonnait, mais il ne se montrait jamais en public ou presque, ce qui limitait grandement les risques ; et les rares fois où il se montrait en public, il apparaissait aux mortels, et à nous, comme vêtu différemment. Durant les années où je les ai fréquenté, et je les fréquente toujours, il m’apprit beaucoup sur la condition et la nature des Vampires, entre autre car il avait atteint Golconde… Il m’apprit aussi à maîtriser Jeadiel, ce qui fait que de notre relation je suis désormais le maître, même si, quand je lui lâche la bride, il a la puissance de me détruire. Il faut croire que ce n’est pas dans sa volonté de me laisser enfin sombrer en Enfer, comme si ce que je vivais avec lui était doux comparé à ceci… Enfin bref, au fur et à mesure de mes discutions avec Akira, j’appris également que ma très chère Sire était à Vannes… Un membre du Conseil des Anciens, et également que je n’avais rien à craindre d’elle… En fait, il m’apprit aussi la nature du Vinuculum, ou Lien de Sang : boit le sang d’un même Vampire au cours de trois nuits différentes et tu seras son esclave. Pour une raison qui m’est inconnue, le Sire a toujours un Vinuculum total sur son Infant… mais depuis le temps que j’avais passé sans la voir, ce Lien était brisé. Il passa ensuite un peu de son temps à m’entraîner au sabre, et à me préparer mentalement à cette difficile confrontation. Il me forgea également deux sabres, qu’il investit d’une partie de sa puissance afin que ces armes puissent blesser n’importe quelle créature surnaturelle avec facilité, et il m’apprit également que peu importait que je n’avais pas atteint Golconde, il suffisait de bien me comporter pour vaincre la Bête ; c’est pour ça que je te parais très humain pour un Vampire. Enfin, avec sa bénédiction, je partis pour Vannes en dix-neuf cent trente-cinq, afin de m’implanter dans la ville et de venger ma famille…
Ce fut dix années plutôt amusantes. J’ai tout de suite pris mes marques sur place, commençant à me créer un petit réseau d’influence pour évincer Jean-Pierre Couturier, le Prince du moment, un Ventrue plus faible que nous. D’aucuns disaient qu’en fait, c’était son Sire qui le manipulait, et qui manipulait même le Conseil tout entier. Il paraissait aussi que c’était elle qui avait commandité l’assassinat du Prince précédent, un Toréador sous son influence qui essayait de se libérer. Puis vint la Seconde Guerre Mondiale ; malgré l’occupation, nous pûmes continuer nos affaires… Et du quatre au six juin 1944, Vannes fut libérée, rue par rue, maison par maison. Dans le même temps, nous chassâmes les vampires germaniques qui étaient venus s’implanter, sur ordre du Conseil, qui avait décidé de prendre le pouvoir au détriment d’un Prince.
Après la libération, je fus nommé Prince de Vannes. Pour peu de temps. J’avais refusé de me plier devant la Ventrue, et dès lors, elle me renversa, enfin, son Infant me renversait pour reprendre le pouvoir, en novembre 1944. Ce fut à ce moment que je fus contacté par un autre Caitiff, Kyle Johnson. Un Sans-clan très puissant, qui me proposa la chance de me venger. J’acceptais. Il ne me demanda qu’une seule condition : que j’entre ensuite dans son organisation. Je me vengeais alors la nuit suivante, la diabolisant après que Jonhson l’ait attirée dans un piège. Eh oui, je suis encore plus impur… j’ai diabolisé en plein territoire de la Camarilla, sans autorisation ni Chasse à Sang. Là, Kyle Johnson me prit avec lui et m’entraîna au cœur de la Forêt Noire…
C’était son camp d’entraînement pour les Dawn Watch, un groupuscule de Caitiffs suffisamment puissants pour contrer les Hunters, tels ceux de l’Inquisition, qui veulent notre peau. Là-bas, j’appris à me servir de mes pouvoirs, et en développais de nouveaux, même si à un moment il y eu comme un cassure : seul Jeadiel peut se servir de certaines disciplines qui sont pourtant intéressantes. Ils m’apprirent la société vampirique, les Princes de chaque ville qui délivraient les autorisations et régentaient tout, chapeautés par le Conseilles de Primogènes de cette même cité. Là, je reçus aussi une éducation sur l’occulte, l’art du tir et de l’arme blanche, bref, de quoi devenir un bon combattant lorsque l’heure sera venue.
- Tu parles de l'heure de la Fin ?
- Celle de la fin des temps, lors du réveil de Caïn.
- Et c'est moi la folle... Tu ne lui tiendras pas tête, ni toi, ni moi, ni personne, tu le sais ?
- Oui. Mais au moins nous défendre lorsque tous les Vampires, excités par l’Apocalypse proche, pèteront un câble. Cette formation dura de 1946 à 1986, en gros. Quarante ans passés à ruminer ma vengeance, à remercier Johnson et à prier pour ma famille. Puis il me laissa repartir, en me donnant juste pour mission de combattre les Hunters dans l’ombre dès que possible, mais aussi de lui obéir lorsqu’il me le demandera. Enfin, c’est un de ses lieutenants qui m’a donné ces ordres. Je suis donc parti sur Paris.
C’est là que j’ai fini d’adopter ce style vestimentaire. Enfin, une partie. Je me suis présenté au Prince de France, et j’ai acheté un appartement. Enfin, acheté… Disons que mon organisation a pourvu à ce besoin. De même, ils m’ont fourni deux Desert Eagle, ces deux armes que j’ai toujours avec moi. C’est là aussi que j’ai commencé à développer mon goût pour les jeunes filles ; je n’avais aucune envie de me nourrir sur des passants, mais uniquement sur des victimes consentantes… Et l’effet d’extase provoqué par le Baiser te donne tout de suite le cadre de l’utilisation que j’en faisais, et que j’en fais toujours. De toute façon, il m’a bientôt fallu un vrai moyen de les approcher. Pour cela, j’ai appris la guitare électrique, en autodidacte ; un ancien musicien m’a vendu une Fender Stratocaster originale, et en quelques mois, j’en jouais comme un dieu, ou presque ; je n’ai guère amélioré mon niveau depuis lors, mais tu as pu l’apprécier déjà. Parallèlement, je terminais de ruminer ma vengeance. Mon Sire était mort, mais il me restait à me venger du Prince de Vannes et du Primogène Ventrue. C’est pourquoi j’ai gardé contact avec Akira, pour préparer le terrain pour ma vengeance. C’était en mille neuf cent quatre-vingt-dix. Pendant quinze ans, j’ai préparé mon plan, pris des contacts, rassemblé des informations. Et ce soir, c’est le grand œuvre… Enfin, tu verras. On a encore un peu de temps. Toutefois, prendre des contacts ça occupe un peu, mais pas tant que ça. J’ai aussi dû participer à deux missions pour mon organisation, ce qui m’a fait totalement accepter, et j’ai commencé à leur soumettre cette idée de vengeance. Je voulais en parler à Kyle Johnson, mais il n’était pas disponible, ce sont donc ses lieutenants qui en ont débattu ; j’ai même eu à plaider ma cause devant eux. J’ai aussi commencé à m’implanter aux Etats-Unis, à Los Angeles, pour que les Dawn Watch aient une base d’action pour limiter la casse sur place, vu que la situation y est… fragile, presque autant qu’à Mexico. J’ai donc pris contact avec les Anarchs principalement, enfin… Il n’y avait pas beaucoup d’autres personnes à qui s’adresser. Smiling Jack, le presque leader des Anarchs, m’a clairement fait comprendre de dégager mais le vrai leader, Jérémy McNeil, avait tellement peur de nous, après lui avoir montré mon attirail, qu’il m’a aidé à me cacher et à aménager une planque grâce à une goule qui n’a hélas pas survécu à sa mission. McNeil ne savait pas où elle m’emmenait, et ne le saura jamais. J’ai pour ainsi dire disparu de « sa » ville, mais il ne sait toujours pas si je suis en vie ou non, selon les dires du Dawn Watch qui est là-bas… Ca m’a donc plutôt bien occupé, et j’étais de retour depuis peu, m’étant informé sur les bons avancements de ma vengeance, lorsque je t’ai rencontrée…
Tu t’en souviens ? A Paris, il y a quelques mois… Je me rappelle, je jouais de la guitare sous le surnom de Léo… Et quand tu est arrivé, c’est amusant, c’était comme… un soulagement. Je me sentais soulagé sans en connaître la cause, mais dès que j’ai posé les yeux sur toi, je l’avais ma raison. Et ça m’a poussé à aller vers toi, à aller te voir, comme quoi, on n’a pas à le regretter… Même si cela a parfois poussé Jeadiel a refaire surface de temps en temps, ce qui a du satisfaire Folie, ça m’a en même temps aidé à me contrôler… Et tu te souviens d’Aurore ? Parfois je me demande si elle ne te préfère pas à moi… Comme quand, dans l’aéroport de Mexico, elle voulait t’embrasser en public. Dans un pays hyper chrétien, ça ne le fait pas, mais elle l’a très vite compris.
Et donc, ce soir… Dans quelques heures… Ma vengeance sera complète et définitive. Sur Artémis et sur cette condition infâme, ainsi que sur Dieu le Maudit… Et sur Jeadiel, qui ne vaut pas mieux. »

Aucune suite de trop prévue au programme.
Ou alors, faudra que je la réécrive. Et l'inspiration étant ce qu'ele est...